http://www.lemonde.fr/culture/article/2008...l#ens_id=998842Jacques Rigaud, 76 ans, a présidé durant vingt-huit ans l'Admical, association chargée de promouvoir le mécénat, notamment culturel, auprès des entreprises. Il vient de céder sa place à Guillaume Pepy, le numéro 2 de la SNCF. Enarque, membre de plusieurs cabinets ministériels (notamment à la culture), ancien PDG de la radio RTL, Jacques Rigaud explique les acquis et enjeux du mécénat.
Que représentait le mécénat dans les années 1970 ?
Il se limitait aux actions de quelques grandes fortunes : Suzanne Tézenas, les David-Weil, ou les Boissonnas. Il devenait urgent de développer un mécénat d'entreprise. Mais c'était très mal vu. Le grand capital allait asphyxier les créateurs, soutenaient nombre d'artistes pour qui l'entreprise était un lieu d'oppression et d'aliénation. De son côté, le CNPF, ancêtre du Medef, affirmait que la culture ne le concernait en rien, que ce domaine relevait de l'Etat. On a donc créé l'Admical en 1980, en refusant tout patronage public : personne ne devait croire que l'Etat allait en profiter pour se désengager.
Comment définir l'Admical ?
Un club d'entreprises alimenté par les cotisations, qui ne lève pas des fonds mais permet de réfléchir, donne des idées, délivre des Oscars du mécénat. C'est aussi une base de données, et un groupe de pression vis-à-vis des pouvoirs publics.
Quand le mécénat culturel a-t-il vraiment émergé ?
Paradoxalement, avec le doublement des crédits de la culture par Jack Lang, en 1982. Je me souviens du communiste Guy Hermier nous disant : "Maintenant que l'Etat s'engage fortement, on n'est plus contre vous."
La loi a-t-elle fait avancer les choses ?
Oui. Celle de 1987 définit pour la première fois le mécénat sur le plan légal et apporte quelques avancées fiscales. La loi de 1990 débloque le verrou des fondations. Il faut savoir que, depuis Philippe le Bel, l'Etat se méfie de tout organisme privé qui se mêlerait de ce qu'il estime être de son ressort. C'est le cas des fondations, échappant à l'administration et fiscalement favorisées, donc souvent perçues par les pouvoirs publics comme des organismes à mi-chemin entre la congrégation religieuse et l'association de malfaiteurs. Il s'en est créé une cinquantaine dans les années qui ont suivi la loi de 1990.
L'enjeu est aussi fiscal. Une entreprise qui entend soutenir la culture ferait, en réalité, de l'abus de biens sociaux. Une loi de 2000 a rectifié le tir. Et enfin, il y a la loi sur le mécénat de 2003, qui est un tournant. Sans l'Admical et son lobbying, cette loi n'existerait pas. Elle n'est pourtant pas assez connue, et les entreprises n'en profitent pas assez.
Que représente le mécénat culturel aujourd'hui ?
La culture représente 34 % du mécénat global, soit 340 millions d'euros sur 1 milliard d'euros en 2005 - le reste va à l'humanitaire et au social. Même si les sommes augmentent continuellement - et fortement depuis 2005 -, le mécénat est et restera marginal. Sa principale qualité, c'est de fournir les quelques dizaines de milliers d'euros qui vont permettre à un artiste de concrétiser son projet. Ou, au contraire, d'aligner la première somme capable de débloquer un financement impossible.
Le mécénat, ce n'est pas seulement un chèque mais aussi un partenariat. Plus le mécène est impliqué, plus il donne. Il est arrivé qu'un comptable d'entreprise s'occupe de la comptablité d'un orchestre ou qu'un cadre du privé installe l'informatique d'un musée. Le mécénat contribue aussi au pluralisme et offre de l'indépendance vis-à-vis des institutions.
Quels sont les domaines culturels où le mécénat est le plus présent ?
Les musées trouvent d'habitude le mécénat qu'ils sollicitent. L'art contemporain attire de plus en plus. La musique n'est pas à plaindre. Le théâtre reste un parent pauvre. Sans doute parce qu'il est considéré comme dangereux et subversif. Ce qui est à son honneur. Mais c'est aussi le secteur le plus recroquevillé sur lui-même.
Y a-t-il un seuil à ne pas dépasser pour le mécénat dans une création ou un lieu culturel ?
Quinze pour cent me semblent un maximum. Le mécénat n'est pas fait pour palier un manque de public ou pour boucler les fins de mois d'un Etat nécessiteux.
L'Etat n'a-t-il pas tendance à se mettre en retrait ?
C'est vrai, et cela me désole. Un désengagement de l'Etat dans le domaine culturel pénaliserait indirectement le mécénat. Comme je viens de le souligner dans un rapport au ministère de la culture, si les musées se mettaient à vendre les oeuvres qu'ils détiennent, ce serait un mauvais signe envoyé aux donateurs potentiels. Plus largement, je sens une revanche du ministère des finances et des gestionnaires purs de l'administration, qui, après avoir dû mettre en veilleuse leurs réticences vis-à-vis de la culture dans les années 1980 et 1990, reprennent le dessus et insistent pour que la culture se débrouille désormais seule.
Nicolas Sarkozy veut favoriser des spectacles qui attirent le public. Qu'en pensez-vous ?
Jamais Colbert n'aurait osé présenter à Louis XIV des pièces qui correspondent à l'attente du public. Le public n'a jamais attendu Tartuffe ou Le Misanthrope.
Propos recueillis par Michel Guerrin et Emmanuel de Roux